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Old May 21st, 2021 #11
alex revision
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Oradour : témoins gênants et experts réduits au silence

S’il avait appris l’origine des photographies soumises à son attention, le pompier interrogé par Sylvain (voir mon message du 19 mai (1)) n’aurait probablement pas répondu avec autant de facilité. J’en sais quelque chose.

Dans mon livre sur Oradour, à la rubrique « remerciements », j’avais mentionné le capitaine des pompiers de Honfleur qui avait aimablement répondu à mes questions. Les gardiens de la Mémoire s’en étaient offusqués.

Quelques semaines plus tard je rencontrai ce capitaine au bureau de poste de Honfleur. Il vint vers moi. Sachant que je l’avais remercié sans lui en demander l’autorisation, je craignais sa réaction. Mais il me dit simplement: «C’est vous qui avez raison...», puis il me quitta.

Six ans plus tard, alors que j’allais passer en procès dans l’affaire d’Oradour, j’espérais que ce pompier, ou un autre, se manifesterait. Espoirs déçus: rien ne vint. J’essayais donc de trouver un expert en incendies qui accepterait d’étudier le dossier. Mais dès que je révélais la nature de l’affaire, on me rendait mes papiers en me demandant de m’adresser ailleurs.

Même chose à Oradour

Mon enquête dans le village me permit de découvrir deux survivants qui restaient très discrets lors des commémorations. MM. Renaud et Tarnaud. En août 1991, le premier me conduisit dans les ruines jusqu’à l’endroit où, ce 10 juin 1944, il s’était caché avec son épouse. Nous étions à une centaine de mètres de l’église. Là, il me révéla que l’édifice avait explosé et qu’il en avait ressenti le souffle sur son visage. C’est grâce à lui qui je pris la décision de continuer mon enquête, jusqu’au bout.

Lors d’un deuxième entretien, je l’interrogeai sur le cas d’une femme d’Oradour qui ne figurait ni sur la liste des morts, ni sur celle des survivants. Il me déclara qu’elle avait survécu au drame, mais que quelques jours après, le maquis local l’avait emmenée puis exécutée dans un bois… «Mais alors, dis-je, après la tragédie, il y a eu des règlements de compte!» M. Renaud garda le silence.

J’espérais en apprendre plus à l’occasion d’une nouvelle rencontre. Mais lors de l’instruction de mon procès à Limoges, M. Renaud nia m’avoir rencontré… Tout nouvel entretien était donc désormais impossible. Depuis, M. Renaud est mort, emportant ses secrets dans sa tombe.

De son côté, M. Tarnaud me déclara:

– Tout le monde, ici, sait ce qui s’est passé ; mais personne ne va vous le dire.

– Et vous, fis-je, allez-vous me le dire ?

– Non. Lorsque, au procès des Waffen SS [en 1953 à Bordeaux], j’ai déclaré que je voulais tout révéler, on m’a dit : « Si tu parles, on te jette dans la Garonne. » Je me suis donc cantonné à un témoignage sans importance.

– Mais quarante ans plus tard, ne pouvez-vous pas parler ?

– Non. Je tiens à mourir tranquille.

Telle était l’ambiance à Oradour.

Mon enquête se prolongeant, je pus rencontrer une nouvelle fois M. Tarnaud. Il avait appelé son fils pour assister à notre entretien. Voyant sa gêne, je lui dis : « Monsieur, je vous poserai une seule question puis je vous laisserai tranquille. L’église a-t-elle explosé ? » Pendant une dizaine de secondes qui me sont parues une éternité, l’homme réfléchit. Puis il lança : « Oui ! » Il m’apprit qu’il avait confié à sa petite fille son témoignage écrit, avec autorisation de le publier après son décès. M. Tarnaud est mort depuis plusieurs années. A ma connaissance, son cahier n’a jamais été publié.

Même situation en Alsace

Peu après la parution de mon livre, je téléphonai à un ancien Waffen SS, Henri Weber, dont j’avais obtenu les coordonnées grâce à un lecteur. Voici le compte-rendu de notre conversation.

– M. Weber, je viens de publier un ouvrage qui rétablit la vérité sur Oradour. Puis-je vous en offrir un exemplaire ?

– Non.

– Je parle de vous dans cet ouvrage. Ne voulez-vous pas savoir ce que je dis de vous ?

– Non.

La conversation prit fin.

Plus tard, un Alsacien qui avait été incorporé dans l’armée allemande, Julien Bober, me contacta. Il connaissait l’un des anciens Waffen SS venus à Oradour : Albert Daul. J. Bober me promit de faire le nécessaire pour que je puisse l’interroger. Dans les semaines qui suivirent, il me rapporta qu’après bien des hésitations, lors d’une première rencontre, A. Daul lui avait révélé l’explosion inopinée de l’église d’Oradour. Lui et ses camarades n’y étaient pour rien. Enthousiaste, mon informateur ajouta : « Je le reverrai la semaine prochaine et il m’en dira davantage ». On imagine aisément mon excitation. La semaine suivante, J. Bober me téléphona, désolé : « C’est sa femme qui m’a ouvert. Elle ne m’a pas laissé entrer. Elle s’est mise à pleurer en disant qu’ils avaient eu assez d’ennuis avec cette affaire et qu’ils ne voulaient pas en avoir davantage. » Pendant plusieurs années, Julien Bober tenta d’approcher Daul ou d’autres. En vain. Il put tout de même glaner quelques informations, dont celle-ci : « Après la procès de 1953, l’ancien Waffen SS Albert Ochs resta déprimé à l’idée d’être toute sa vie considéré comme un assassin de femmes et d’enfants. Il a tout révélé à sa famille. Mais elle ne parlera pas... »

Des incohérences criantes

Dans cette affaire, personne ne parle et personne ne semble faire preuve de la moindre curiosité, alors que des étrangetés manifestent subsistent. Deux exemples :

- Ce 10 juin 1944, en début d’après-midi, un tramway arriva à Oradour. Venant de Limoges, trois techniciens testaient la locomotive. Les Waffen SS, qui avaient déjà encerclé le village, stoppèrent le tramway, abattirent l’un des trois techniciens et refoulèrent l’engin vers Limoges. Vers 19 h, un autre tramway, le régulier cette fois-ci, arriva. Bondé de voyageurs, lui aussi venait de Limoges (2).

Ce fait pose plusieurs questions : à leur retour à Limoges, qu’ont dit les deux techniciens dont le collègue avait été tué ? N’ont-ils pas donné l’alerte en précisant qu’un village par lequel passerait le tramway de 19 h était encerclé par des SS ? S’ils n’ont pas donné l’alerte, pourquoi ? S’ils l’ont donnée, comment se fait-il que personne ne se soit rendu sur place et qu’un tramway bondé de voyageurs ait pu partir pour Oradour en fin d’après-midi, comme si de rien n’était, sans que personne n’ait été prévenu du danger ? Malgré toutes mes lectures et toutes mes recherches, je n’ai jamais pu trouver la réponse à ces questions.

- Le 16 juin 1944, soit six jours après la tragédie, un habitant de la région d’Oradour, Jean Villoutreix, découvrit une sacoche allemande dans un champ de blé, près du village détruit. Outre une toile imperméabilisée, elle contenait une carte routière, huit cartes postales et «diverses lettres que j’ai brûlées» dit-il (3). Pourquoi a-t-il brûlé ces lettres ? Que disaient-elles ? A ma connaissance, jamais Jean Villoutreix n’a été interrogé sur le sujet, alors qu’il avait détruit des preuves, ce qui est condamné par la loi…

Conclusion

Du Limousin en Alsace, c’est donc une véritable chape de plomb qui pèse, fermant les bouches de tous ceux qui pourraient élever une voix discordante, tuant toute curiosité et décourageant les experts d’étudier le dossier. Alors que nous évoquions l’affaire, l’une des personnes qui me secondait dans mon enquête, Henri Lewkowicz, déclara: « A Oradour, dès que l’on pose des questions pertinentes, les gardiens de la Mémoire se ferment, vous soupçonnent et vous épient. Ces gens n’ont pas le comportement de la victime innocente, mais celui du menteur inquiet.» J’ai pu moi-même le constater. Un jour que j’enquêtais avec H. Lewkowicz et Emmanuel S., le guide d’Oradour nous suivit afin de relever la plaque minéralogique de notre véhicule. L’ayant remarqué, nous avons mangé un sandwich en masquant la plaque. Obligé de retourner dans les ruines, le guide envoya sa femme nous espionner. Elle resta plusieurs minutes et abandonna. Nous en profitâmes pour partir en trombe.

Une thèse officielle imposée de la sorte n’est manifestement pas conforme à la vérité.

N’ayant pas eu accès, et de très loin, à l’intégralité du dossier (il reste détenu aux archives militaires et ne sera ouvert qu’en 2053), j’ai travaillé sur Oradour un peu comme un aveugle qui tâtonne pour identifier la pièce qu’il découvre. Malgré cela, j’ai recueilli suffisamment d’éléments pour que les gardiens de la Mémoire refusent le débat et en appellent aux autorités afin de me faire taire : interdiction de mon livre puis de ma cassette vidéo, poursuites, perquisitions, saisies, procès, tentative de lynchage à la sortie du tribunal, condamnations à de la prison ferme… Pendant huit ans, de 1997 à 2005, j’ai connu de multiples épreuves, dépensé beaucoup d’énergie et, plus grave, perdu beaucoup d’archives. J’ai tenu grâce au soutien de mon avocat, Maître Éric Delcroix, et aux amis qui sont restés à mes côtés.

Pour eux, pour les victimes de drame que les autorités prostituent à une cause politique – l’antifascisme – et au nom de tous les silencieux, je rééditerai une nouvelle version de mon livre.

Notes

(1)https://gab.com/Reynouard/posts/106262894033371858

(2) Voy. Guy Pauchou et Pierre Masfrand, Oradour-sur-Glane, vision d’épouvante (éd. de 1992), pp. 73-74. Sur le technicien tué, voy. Jean-Jacques Fouché, Oradour (éd. Liana Levi, 2001), pp. 141-142.

(3) (2) Voy. Guy Pauchou et Pierre Masfrand, op. cit., p. 111

https://vincentreynouard2.wixsite.co...its-au-silence